Apparu il y a environ 540 millions d'années, l'exosquelette (ou "squelette externe") a connu un formidable succès évolutif dans le monde animal, en particulier chez les mollusques et les arthropodes. Il offre à la fois un appui rigide au travail musculaire et une formidable protection, de sorte que même certains vertébrés s'en sont dotés, comme les tortues ou les tatous.
L'"exosquelette" est une structure articulée en métal ou en plastique, animée par des muscles artificiels appelés "actuateurs" et fixée sur les principaux segments du corps : bassin, cuisse, avant-bras, etc...
Les premiers, développés aux Etats-Unis, visent d'abord à multiplier les charges utiles que peuvent porter les soldats, et, dans le monde civil, les spécialistes de l'intervention d'urgence comme les pompiers et les secouristes.
Le laboratoire d'ingénierie humaine et de robotique de l'université de Berkeley (Californie) travaille ainsi sur un exosquelette de membres inférieurs, le BleexBleex
Berkeley Lower Extremity EXoskeleton. En plus des 40 kg de l'exosquelette lui-même, le premier prototype permet de porter 35 kg de charge utile sans que le porteur ne ressente plus de 2 kg sur son dos.
Si l'exosquelette peut amplifier la force de l'homme valide, il peut aussi multiplier celle de ceux qui souffrent de déficiences motrices, comme les hanicapés moteur partiels et les personnes âgées. C'est l'objet du HalHal
Hybrid Assistive Limb : membre d'assistance hybride, un exosquelette de membres inférieurs développé dans une entreprise issue de l'université japonaise de Tsukuba. Testé depuis 2003, l'appareil avance à une vitesse e marche normale de 4 km/h et peut même monter des escaliers.
Une jeune entreprise, Wotan Systems, contruit un prototype d'exosquelette de membre supérieur à fixer sur un fauteuil roulant.
Le système de fonctionnement est plutôt simple : détecté par une batterie de capteurs, l'effort produit par l'utilisateur est transmis à un centre de calcul intégré au squelette. Là, des algorithmes préprogrammés calculent la réponse à donner au mouvement détecté et envoient en retour des ordres à des muscles artificiels qui amplifient l'effort originel. Séparément, les éléments de l'exosquelette sont souvent très banals. Ainsi, les capteurs utilisés pour analyser la quantité proportionnelle d'effort ourni par l'utilisateur chez Wotan Systems dérivent-ils d'un pèse-personne... Le centre de calcul qui concentre l'"intelligence" de Bleex se réduit à un banal PC, quant aux muscles, ceux de Wotan Systems sortent directement du catalogue d'un spécialiste des muscles pneumatiques, l'industriel allemand Festo.
Cela étant, la compatibilité de l'exosquelette avec le corps humain tient du casse-tête, le principal défi mécanique tenant au respect des degrés de liberté des articulations humaines. Le problème est relativement facile à résoudre pour des articulations simples comme le coude, mais autrement plus complexe pour respecter les mouvements de l'épaule, qui possède trois degrés de liberté, avec un déplacement du centre de rotation vers le haut lorsque le bras s'élève au-dessus de la tête. Or, toute erreur de conception peut induire des blessures à la longue...
Pour les jambes, la solution actuelle consiste à adopter une articulation simpliste de type "Playmobil" (pas de rotation des hanches par exemple), l'objectif prioritaire étant de marcher. En revanche, pas question de restreindre les mouvements du bras, l'objectif étant non seulement de redonner l'impression d'une vie normale aux handicapés, mais encore de favoriser la rééducation. Il faut aussi composer avec la nécessité de réduire le nombre des actuateurs, de façon à éviter la complexité et le coût en énergie du système : par exemple, la flexion naturelle du coude peut mettre en jeu 5 à 6 muscles, alors qu'un exosquelette n'en offre que deux. La solution ? Un patient travail de modélisation sur un logiciel de conception assistée par ordinateur, et des mécanismes d'articulation dûment brevetés.
De plus, si l'"intelligence" cognitive de l'exosquelette est réduite à zéro par rapport à celle d'un robot (puisque c'est l'utilisateur qui définit la direction, évite les obstacles, etc.), l'appareil doit compenser en "collant" en temps réel aux commandes de l'utilisateur. "C'est là que se situe le noeud du problème, résume Homayoon Kazerooni, directeur du projet Bleex. Pour la marche, il est en effet indispensable d'avoir des temps de retour de l'ordre de la microseconde pour éviter les problèmes de désynchronisation et la perte d'équilibre." Faute de système permettant de se débarrasser de l'appareil au sol, toute chute serait catastrophique...
Les chercheurs américains ont donc conçu un réseau informatique spécial baptisé "Exolink", chargé de collecter les données à la sortie des capteurs pour les transmettre vers le PC à très grande vitesse : 1500 mégabits par seconde. Mais répondre vite ne suffit pas. En effet, les alogrithmes doivent savoir trier entre les réactions contrôlées de l'utilisateur et les mouvements réflexes involontaires dont l'amplification serait catastrophique, notamment ches les handicapés.
Un autre problème est posé par l'alimentation : sur Bleex, l'unique solution capable de fournir la puissance de 300 watts électriques destinées à l'électronique et, surtout, de propulser la masse de 85 kg de l'appareil à 8 km/h consiste en un moteur développant 3 ch dérivé d'une tronçonneuse. Peu discret, ce système exige une isolation acoustique persante et un réservoir de carburant inflammable, accessoires ennuyeux chez les militaires.
Quoi qu'il en soit, les ingénieurs semblent persuadés que tous les obstacles seront finalement surmontés : Les progrès parallèles de la robotique et des neurosciences rendent envisageables des exosquelettes capables de redonner des membres aux tétraplégiques complets en récupérant l'influx nerveux au niveau du cerveau.
, affirme Philippe Gorce, responsable de l'équipe bimécanique du laboratoire d'ergonomie sportive et performance de l'université de Toulon. Qui sait, peut-être pourrons-nous un jour aller au travail en bondissant allègrement dans les rues, grâce à l'exosquelette intégré dans nos costumes...