II) Etude du vol des insectes

1°) La modélisation

Les lois de la similitude permettent de relier l’écoulement autour d’un objet réel, ici de l’insecte, à celui autour d’une maquette, plus facile à manier et à étudier en soufflerie. C’est l’inverse des ingénieurs aéronautiques qui construisent des modèles réduits, en effet ceux qui étudient le vol des insectes ont besoin de modèles agrandis.

Les principes physiques qui gouvernent les objets ou les animaux réels (ici l’insecte) et les maquettes sont identiques quand, dans les deux cas, le rapport de la force de pression due à l’inertie du fluide est égal à la force de cisaillement due à la viscosité du fluide.

Ce rapport est nommé « nombre de Reynolds ». On dit alors que l’objet (ou la maquette) respecte la similitude de Reynolds. La viscosité

Viscosité

Résistance d’un fluide à l’écoulement uniforme , égale à un frottement, apparaît quand des régions contiguës d’un fluide se déplacent à des vitesses différentes. Le nombre de Reynolds augmente proportionnellement à la longueur, à la vitesse de l’objet et à la densité du fluide. Il diminue avec la viscosité du fluide.

Quelques applications du nombre de Reynolds : un avion, qui a une grande taille et se déplace à une vitesse élevée, a un nombre de Reynolds de l’ordre de un à cent millions. Un insecte, petit et lent, a un nombre de Reynolds compris entre cent et mille, voire même inférieur à cent pour les plus petits insectes. Pour respecter la similitude de Reynolds, on ajuste les dimensions de l’objet, la vitesse de l’écoulement ou encore la nature du fluide, afin de modifier la masse volumique et la viscosité.

Schémas et exemples pour le nomre de Reynolds

2°) Le dispositif expérimental

a) Expérience d'étude du vol du papillon

Ce sont deux biologistes de l’université d’Oxford, Robert Srygley et Adrian Thomas, qui ont réussi à trouver la solution pour étudier leur vol. En effet, ce type d’études se révélait très difficile lorsqu’il s’agit d’insectes en liberté, car ce n’est absolument pas évident d’observer scientifiquement les mouvements des papillons, alors que leurs déplacements dans l’espace et le temps sont totalement aléatoires. Ces deux scientifiques ont enfin réussi à inventer un modèle d’une grande ingéniosité ; ils ont imaginé une soufflerie aérodynamique à l’échelle des papillons, dans lesquels ceux-ci peuvent voler en liberté. La soufflerie mesure douze mètres de diamètre pour six mètres de long, ce qui fait que l’air propulsé y circule doucement, à un mètre par seconde. Pour inciter les insectes à se mouvoir, les chercheurs ont eu l’idée de disposer en amont de la soufflerie une fleur artificielle ou des coupelles de miel. Enfin, une fumée blanche, évidemment non toxique, est injectée dans le flux d’air et fortement éclairée pour matérialiser les moindres mouvements de l’air sur les ailes des papillons. Tout ce dispositif est observé par des caméras numériques ultrarapides qui ne perdent pas une miette. L’expérience a été réalisée avec l’espèce « Vanessa Atalanta », de nom plus commun Vulcain, pour des raisons pratiques, en effet, le Vulcain abonde dans la région d’Oxford.

Les enregistrements de cette expérience ont montré que ces papillons utilisaient de nombreuses techniques pour assurer leur portance, effectuer des vols stationnaires sans aucun mouvement vers l’avant ou vers l’arrière, des glissades ainsi que des brusques arrêts et des redémarrages instantanés.

b) Expérience : le décrochage retardé, une réponse au vol stationnaire de la mouche

Le scientifique Michaël Dickinson , avec Karl Götz, de l’Institut Max Planck, à Tübingen, construisit une maquette d’aile composée d’une pagaie de cinq centimètres de largeur sur vingt centimètres de longueur, reliée à des moteurs et plongée dans une grande cuve de sirop de sucre. Cette augmentation de la taille et de la vitesse combinée avec une réduction de la viscosité combinée et une réduction de la vitesse de battement donnaient au montage le même nombre de Reynolds que celui d’une aile de mouche. L’aile était équipée d’un capteur qui mesurait la portance

Portance

Force perpendiculaire à la direction du mouvement dirigée vers le haut et la traînée

Traînée

Résistance au passage de l’air, qui est parallèle et opposée à l’écoulement.
créées lors du déplacement dans le fluide visqueux. A l’extrémité de l’aile, les scientifiques ont monté des écrans pour supprimer l’écoulement le long et autour de l’aile ; ce stratagème ramène l’écoulement de deux à trois dimensions, et facilite ainsi l’analyse. Les expériences effectuées int proposé une solution à l’énigme du vol stationnaire des insectes : le décrochage retardé. Concrètement, cela signifie que le tourbillon n’a pas le temps de se décoller, à l’inverse de ce qui se passe pour un avion qui « décroche ».

Le décrochage normal Le décrochage retardé chez une drosophile Le décrochage retardé chez une drosophile

Légende :
1) Pendant la majeur partie du battement de l’aile, un tourbillon d’air qui se forme au voisinage du bord d’attaque augmente la portance de l’aile. Ce mécanisme est le décrochage retardé.
2), 3) et 4) A la fin du coup d’aile, celle-ci se retourne et crée une portance rotationnelle analogue à celle d’une balle de tennis en rotation. Au début de la levée de l’aile, celle-ci retraverse le sillage crée par l’aile quand elle était abaissée.
5) L’aile est orientée de façon que le surplus d’écoulement d’air produit crée davantage de portance ; ce phénomène est dénommé la capture de sillage

3°) Techniques de vol des insectes

a) La portance

La portance est la force qui permet d’équilibrer le poids. Selon le principe découvert par Daniel Bernoulli au XVIIIème siècle, l’augmentation de la vitesse du fluide s’accompagne d’une diminution de la pression ; la pression étant plus forte sous l’aile qu’au dessus, la poussée s’exerce vers le haut, la portance.

b) Le papillon

Le papillon vole en battant des ailes, celles-ci mobiles se touchant au sommet du battement, avant d’entamer un mouvement vers le bas. Cette fois, l’essentiel de la portance est fourni par un tourbillon continu, un vortex qui prend naissance au bord d’attaque (à l’avant) des ailes et se dirige vers l’arrière depuis l’extrémité de l’aile. Un tourbillon dont les cercles vont en s’élargissant de l’avant vers l’arrière. Ainsi, c’est le tourbillon de chaque aile qui crée à la fois une dépression sur l’extrados (la surface extérieure de l’aile) et l’aspiration vers le haut

Mais il y a encore plus subtil. Au moment où les ailes se trouvent en haut, elles sont, en quelque sorte, tirées vers le bas lorsque s’amorce le battement vers le bas. Durant celui-ci, la flèche disparaît et l’aile repart vers l’avant, en même temps qu’elle remonte vers le haut. Pour le papillon, ce mouvement lui permet de retrouver une partie du tourbillon qu’il a créé avec son précédent battement, ce qui lui fournit un excédent de portance ; en somme, l’animal s’appuie sur son propre tourbillon. De plus, le profil même de l’axe ne demeure jamais fixe, mais varie en permanence. L’aile pivote autour de l’axe imaginaire qui la relie au corps de l’insecte, provoquant, de ce fait, un changement continu d’angle d’attaque

Angle d'attaque

Angle entre la corde de l'aile et la direction du flux d'air dans lequel le corps avance dans l’air, d’où un nouveau surcroît de portance. La portance est une force qui favorise le mouvement ascendant du papillon.

Vol d'un papillon

Très belle vidéo du vol du papillon dans une boite à fumées. On visualise la deflexion à l'origine de la portance

Schémas du vol d'un papillon

c) La mouche domestique

Une mouche

Pour s’élever dans les airs à la verticale, la mouche modifie l’angle d’attaque de ses ailes, de manière à diriger le flux d’air vers le bas plutôt que vers l’arrière. La même technique est utilisée par le pilote d’un hélicoptère lorsqu’il modifie l’angle d’attaque des pales du rotor pour permettre à l’appareil de s’élever à la verticale.

A la différence des oiseaux, dont le battement des ailes vers le haut ne produit aucune propulsion, la mouche obtient une poussée propulsive lors des battements d’aile vers le bas aussi bien que vers le haut. Pour parvenir à vingt-deux battements à la seconde, la mouche fait appel aux mécanismes sophistiqués de son thorax qui accentue la vitesse de chaque battement. Les ailes effectuent ainsi un mouvement vers le haut ou vers le bas ; l’association des deux articulations de l’aile pousse les parois élastiques du thorax vers l’extérieur. Puis lorsque les ailes continuent leur battement, la tension du thorax diminue. Ceci propulse les ailes vers le haut ou vers le bas.

4°) Comparaison avec la technique de vol des oiseaux et des avions

Il nous paraît intéressant de nous demander pourquoi les scientifiques ont accordé un intérêt si particulier pour les papillons lors de la recherche sur les microdrones.

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction de cette partie, les ingénieurs se sont intéressé au vol des insectes, et plus particulièrement des papillons, pour l’invention de microdrones. C’est leur grande agilité qui a retenu leur choix sur eux plutôt que sur les oiseaux. Nous avons vu dans la première partie « Du vol de l’oiseau à l’avion », que les volatiles avaient inspiré nombre d’ingénieurs tels Jean-Marie Le Bris et Clément Ader lors de l’invention de l’avion. Mais pour les microdrones, les scientifiques ont vite compris que le vol des papillons étant tellement différent du vol des oiseaux, qu’ils ne pourraient en aucun cas utiliser les stratégies que l’industrie met en œuvre pour concevoir une aile d’avion à partir de celle des oiseaux en vol plané. Les ingénieurs travaillant sur le projet des microdrones doivent donc imaginer des engins volants d’une conception totalement inédite. En effet, sur une aile d’avion, l’air s’écoule de l’avant vers l’arrière en créant une dépression sur le dessus, qui assure l’essentiel de la portance, et une surpression en dessous. L’aile est donc aspirée vers le haut. Les papillons n’ont absolument pas cette technique ; un exemple en est la portance, formée non pas par écoulement de l’air de l’avant vers l’arrière mais par le tourbillon continu « vortex ».